Étant de nature curieuse (et je pense que vous l’avez bien compris à force de vous écrire des articles détaillés comme le mukbang ou les origines du layering), cette fois-ci je m’attaque à la mode, un sujet que je trouve passionnant culturellement et aussi fun dans la pratique.
Mais en plus du côté amusant, n’êtes-vous pas désireux de connaître une partie de son histoire et spécialement les origines de la mode ?
Car lorsqu’on sait que les vêtements chinois étaient innovants à l’époque ancienne : vêtements en soie, multitude de couleurs, création de motifs, broderie… On peut alors avoir beaucoup de doute sur les origines de la mode : en fin de compte, est-ce un phénomène qui provient de l’Asie ou de l’Europe ? Si je me pose des questions, c’est parce que la mode a pris une ampleur considérable en Europe notamment avec les grands créateurs français qui ont beaucoup influencé sur le reste du monde. Mais qu’en est-il en Asie ? L’Asie est-il un continent aussi « arriéré » que cela ?
Après pas mal de recherches, je suis tombée sur un fabuleux livre se nommant Histoire Culturelle de la Mode, nous indiquant où la mode a été inventée. Les recherches ont été réalisées par Carlo Marco Belfanti, chercheur et professeur à la faculté d’économie de l’université de Brescia en Italie. Il nous développe chronologiquement l’histoire des vêtements ainsi que les raisons pour lesquelles les peuples avaient droit à telles couleurs ou telles formes dans presque tous les pays du monde. J’ai trouvé son livre complet où il regroupe pas mal de problématiques sur la mode ainsi que des extraits de citations de brillantes personnes comme ici par exemple :
« L’empire de la mode s’exerce entièrement sur le beau, jamais sur l’utile, car lorsque la mode invente quelque chose d’utile et de pratique, pour moi elle cesse d’être la mode pour devenir une amélioration des techniques et des commodités de la vie » – Ferdinando Galiani
Voilà pourquoi je publie aujourd’hui un article sur ce livre car je me suis dit que ce serait dommage que vous passiez à côté de ses recherches.
Pour résumer, notre chercheur s’est penché sur les pays d’Europe et d’Asie, et à travers ses recherches, il a compris comment la politique des différents pays a changé la donne. Ses analyses nous permettent ainsi de comprendre les origines de la mode et comment l’Asie considère la mode comparé à l’Europe.
Néanmoins, son chapitre étant long et bien détaillé, je vais aller à l’essentiel et vous mettre ici les grandes lignes. Si vous voulez les détails, je vous invite à acheter son livre sur amazon (attention, c’est écrit assez petit).
1. La Chine
Une pyramide sociale à respecter
Si vous avez lu mes anciens articles cités dans la slide précédente, vous savez que la Chine était basée sur la hiérarchie afin de vivre en harmonie, et ce, depuis la dynastie Zhou (1028-256 avant JC). Cela s’est encore plus renforcé avec l’arrivée d’une nouvelle philosophie de vie qu’était le confucianisme (cela consistait à vivre avec les autres sous un ensemble de règles où il était important de respecter la pyramide sociale).
Afin de mieux comprendre les origines de la mode, le professeur Carlo Marco Belfanti a analysé les deux dernières dynasties Ming et Qing.
Les dynasties Ming et Qing
• L’époque Ming (1368-1644)
Après avoir renversé la dynastie mongole Yuan installée durant un siècle, l’un des objectifs de la dynastie Ming était de restaurer les traditions chinoises, incluant la mode vestimentaire.
La distinction des classes étant importante aux yeux de l’Etat, et afin de faire perdurer les coutumes chinoises comme le respect de la hiérarchie, ils ont continué à prendre les mêmes paramètres avant la dynastie Yuan, pouvant indiquer le statut social des individus. Cela passait alors par la qualité, les couleurs, le style ainsi que les motifs des vêtements, le tout en restant dans le style chinois.
Les pauvres avaient alors droit à des vêtements de basse qualité (chanvre ou coton) dans des couleurs non variées contrairement aux riches (les officiers et fonctionnaires), eux avaient droit à une texture plus noble comme de la soie et disposaient des couleurs suivantes : jaune, rouge, noir, bleu et blanc.
Concernant les motifs, ceux-ci étaient attribués selon les rangs. A l’époque il y avait 9 niveaux par rang social. Par exemple l’Etat attribuait aux soldats les animaux combatifs allant du lion (pallier le plus haut) au rhinocéros. Quant à la bureaucratie civile et à la hiérarchie militaire, on les représentait par des oiseaux (la grue étant au premier niveau et la caille au neuvième niveau). Concernant la famille impériale, leur symbole fut le fameux animal légendaire : le dragon.
Et enfin, chaque rang avait son style vestimentaire, on pouvait alors définir si la personne était issue d’un milieu noble ou non juste en regardant les vêtements. C’est la raison pour laquelle la population faisait attention à son accoutrement que ce soit pour les couleurs, les matériaux et les formes. Par ailleurs, les femmes n’avaient pas de libre arbitre sur les vêtements. Ils étaient choisis selon la classe sociale du mari, elles devaient donc porter les mêmes motifs et couleurs.
L’Etat surveillait alors constamment le détail des tenues étant donné que cela faisait partie des moyens de communication du régime culturel et sociopolitique de l’empire.
• L’époque Qing (1644-1911)
1644 marqua la fin de l’empire Ming, les empereurs Qing provenant de la Mandchourie prirent la relève. Les empereurs ayant une tout autre culture, ont décidé d’introduire leur tradition aux coutumes chinoises afin d’unifier le pays. Le style s’est modifié pour chacun des rangs, alliant celui de la Chine et de la Mandchourie, et les couleurs officielles ont changé. Par exemple, le jaune ainsi que ses tonalités sont devenues la couleur impériale, et le bleu / marron aux noble. Mais ils ne se sont pas arrêtés à la garde robe : les mandarins ont été obligés de porter la natte ! Seuls les motifs par classe sociale n’ont pas eu d’impact suite aux nouvelles lois.
La propagation
Malgré tous les décrets sur les deux dernières dynasties, en 1488, un rapport dénonçait qu’au cours des cent dernières années les civils et militaires n’osaient pas enfreindre les lois. Mais toujours en 1488, les officiers commençaient à briser les traditions à cette période et s’habillaient comme des ducs / marquis. Ce n’est qu’en 1527 que l’Etat décida de réagir : de nouvelles lois ont été promulguées imposant ainsi aux mandarins de porter les emblèmes selon leur rang social. En vain cependant, car les habitants ne se plièrent pas aux ordres. C’est pourquoi en 1748, l’Etat renforça le règlement mais les résultats n’ont pas eu l’effet escompté.
En réalité, même si le peuple devait respecter les lois, Ye Mengzhu (auteur de traités au début de l’époque Qing) a constaté que l’envie de nouveautés et de changement arrivèrent durant l’époque Ming : d’une part la population avait pour habitude de louer les vêtements pour chaque saison et d’autre part les domestiques et les concubines des familles les plus riches commencèrent à copier le style. Cela s’est ensuite transmis aux parents et ensuite aux voisins. Les jeunes étaient d’ailleurs friands de la qualité que ce soit pour les broderies ou la texture du vêtement, il fallait que ce soit « beau et coûteux ». Les habitants changeaient d’ailleurs tous les mois de style de vêtements “sans prévenir”.
De plus, l’économie du pays étant favorable durant la dynastie Qing, la redistribution des richesses a permis aux classes aisées d’étoffer leurs économies et au classes modestes d’améliorer leur confort. Ils étaient donc prêts à consommer plus, à transgresser “les règles de la hiérarchie des apparences”, à s’adonner aux changement et aux nouveautés dans l’éventuel but de porter des vêtements d’un rang élevé.
2. Le Japon
Quant au Japon, encore une fois si vous me lisez régulièrement, vous savez que la Chine a beaucoup influencé les pays voisins sur tous les domaines : mode, politique, lifestyle…. C’est qu’à partir de l’époque Heian (785 – 1185) que le Japon a commencé à créer son propre style : plusieurs couches de vestes et un pantalon. Les années passèrent, l’époque Muromachi (1333-1573) fut un grand tournant stylistique dans la vie des japonais ; ils adoptèrent un nouveau vêtement appelé kosode (une version du kimono mais en plus petit) toujours accompagné d’une ceinture appelée obi afin de resserrer le vêtement à la taille, et le pantalon disparut. Adopté tout d’abord par les femmes et quelques années plus tard par les hommes, c’est devenu la structure de base des vêtements japonais durant plusieurs années. Il fut alors un incontournable des garde-robes de toutes les classes confondues : samouraïs, marchands, paysans, nobles…
Une époque en paix grâce à une nouvelle politique
Pour bien comprendre la suite, il faut savoir que le Japon a traversé une belle époque stylistique et économique durant l’époque Momoyama (1573-1615). Tout commença grâce au gouvernement militaire avec en-tête le shogun Tokugawa. Celui-ci instaura de nouvelles règles sévères consistant à s’isoler des pays étrangers afin d’endiguer l’influence catholique et à renforcer le pouvoir du gouvernement. En sachant cela, les habitants avaient pour obligation de rester au Japon et de couper tout contact avec l’extérieur et de suivre les nouvelles lois draconiennes concernant le commerce (quota etc). La politique a alors carrément changé la vie des japonais, spécialement lorsque le shogun s’est installé dans la ville d’Edo (aujourd’hui nommée Tokyo) obligeant également tous les seigneurs locaux ainsi que les gouverneurs (daimyos) et leur famille à le suivre pour deux raisons : éviter le désordre d’intérieur et les faire rompre avec l’extérieur.
Dès lors, la concentration des riches à Edo transforma la ville en une nouvelle capitale et commença à être dynamique en raison d’une forte consommation d’objets de luxe, amplifiant ainsi les activités artisanales, commerciales et financières.
La croissance économique
Les nouvelles lois établies, la croissance économique du pays changea considérablement la vie des japonais, leur donnant plus de moyen de consommer ainsi que l’opportunité de se livrer à des joutes sociales avec l’apparat (notamment le kosode) en guise de lance. Cette envie de se faire plaisir et d’affirmer son élégance s’appliqua pour toutes les classes : marchands, féodaux ainsi que samouraïs. Les marchands ont très vite compris qu’il y avait de la demande et qu’une opportunité était à saisir, on pouvait alors voir l’ouverture de nombreuses entreprises croître, agrandissant également le nombre de biens circuler : accessoires, meubles, oeuvres d’art et vêtements de très bonne qualité.
• Nouvelles techniques et créations
La satisfaction de l’aristocratie japonaise étant l’objectif premier des marchands et les artisans japonais apprirent à réaliser de la soie fine grâce à l’importation du textile chinois. Ils entreprirent des recherches et développèrent des techniques pour proposer des vêtements constitués de motifs et de couleurs variées. Le kosode était alors un produit fini issu de différents corpus de métiers : tisserands, teinturiers et brodeurs. Le résultat fini étant magnifique, les marchands se faisaient alors des fortunes grâce à leur créativité et leur habilité compte tenu de la compétition au sein de la bourgeoisie japonaise.
Ainsi, au fur et à mesure que les japonais exposaient leurs dernières trouvailles, tous, y compris les classes moyennes dans tout le pays, devinrent friands de nouveauté et surtout en matière de vêtements. A tel point que les maîtresses de maison se mettaient la pression pour être bien vêtue au risque d’être embarrassée, et faisaient également attention à acheter des vêtements neufs pour n’importe quel prétexte : changement de saison, fête, sortie… Même les enfants de n’importe quelle famille étaient très bien apprêtés pour le nouvel an.
• Une nouvelle pièce : le kimono
Le kimono prit ensuite place sur le kosode et le obi devint considérablement plus grand en largeur, pouvant ainsi laisser place à la créativité des personnes pour nouer des noeuds. L’évolution des motifs, couleurs, et noeuds mis en avant l’élégance des japonais, c’est pourquoi, les entreprises florissantes étaient les sociétés de confection des kimonos. La qualité du kimono déterminait le rang social du porteur car la plupart des artisans prenaient beaucoup de soin à choisir les matériaux pour confectionner les motifs et le tissu. Ils avaient recours à des techniques de teintures sophistiquées et assez laborieuses pour concevoir des chefs-d’œuvre reflétant ainsi la valeur ajoutée du kimono.
Un artisan à Edo était même reconnu pour proposer une qualité presque irréprochable, proposant des vêtements splendides aux milliers de couleurs et de motifs. Et qui dit vente dit aussi système marketing. Mitsui Takatoshi est connu pour être un entrepreneur innovant pour ses techniques commerciales : affiches, prix fixe, remises pour paiements au comptant, prospectus, sponsors, disposition du logo sur les parapluies, etc. Sa créativité a fait de lui l’homme le plus entreprenant de l’époque. Les japonais cherchant la nouveauté, la mise en place de ces techniques renforçait le commerce et l’excès de la consommation de vêtements, c’est pourquoi les japonais ont inventé une super technique commerciale qu’était le catalogue afin de montrer les produits en stock.
Ainsi, la période de paix durant le 16ème siècle a permis au peuple japonais de s’enrichir et de créer des nouveautés sur tous les plans, notamment sur les techniques de développement artisanales dans le monde du textile. L’objectif étant de satisfaire le désir des personnes ayant les moyens de payer des articles de luxe comme les riches marchands ou les nobles. La mode en asie était donc réservée à ceux qui avaient les moyens mais vu la croissance économique du pays, presque toutes les classes sociales pouvaient se le permettre.
3. L’Europe
Pour ce qui est de l’Europe, le rapport des européens avec la mode était une toute autre histoire. Tout d’abord, la mode est apparue au 16ème siècle mais ce n’est qu’au 18ème siècle que la mode française a considérablement influencé le style européen, à un point où la mode européenne est carrément devenue une institution sociale. D’une part parce qu’en France les intellectuels y portaient un grand intérêt et que les prix des vêtements/accessoires étaient accessibles à tous. Et d’autre part, c’est grâce à la presse spécialisée si la mode toucha un plus large public.
Il faut savoir que le premier magazine sur la mode était Le Mercure Galant, fondé en 1672, destiné à toutes les personnes : autant pour les riches que pour les pauvres tous sexes confondus souhaitant connaître la vie à la cour tels que les événements, les potins ainsi que les modes. Le Mercure Galant était donc un magazine à ne pas louper si on voulait connaître les dernières “tendances”, faisant ainsi de la catégorie mode du magazine une « mode officielle » auprès de la population.
En sachant cela, on peut constater que la mode en Europe était bien différente de l’Asie, où les habitants devaient être en haut de la pyramide sociale pour porter des vêtements de qualité. Ici les européens peuvent acquérir des vêtements et accessoires bon marché, rendant alors la mode accessible à tous. Il n’y a donc pas besoin d’être plein aux as pour être à la mode contrairement à l’Asie où seule l’élite pouvait se permettre de se vêtir avec un peu de liberté.
Conclusion
On tend à croire que la mode était un phénomène social apparue en Europe, mais tout le travail du professeur en amont démontre que le système vestimentaire en Asie a évolué grâce à une économie favorable à chacun des pays, où cette envie de consommer modifia considérablement le comportement des individus au point de modifier la hiérarchie des apparences traditionnelles. Suite à cela, les asiatiques étaient en quête de nouveautés et de changement malgré des vêtements que l’on peut qualifier d’uniforme du fait que la forme de l’habit ne changeait pratiquement pas au fil des années (l’exemple typique ici est le kimono).
La mode asiatique passait plutôt par un renouvellement de tissus, de couleurs et de motifs tout d’abord chez les élites et ensuite chez les classes moyennes. Alors qu’en Europe les formes pour les hommes et les femmes changeaient complètement. Par exemple pour les femmes, elles sont passées d’un hoop petticoat à la chemise à la reine.
Une autre grande différence existait également entre l’Europe et l’Asie : le rapport des individus entre la mode et le pays. Comme on l’a vu dans les slides précédentes, la mode en Asie a surtout débuté chez les personnes ayant les moyens de s’offrir des vêtements, la mode était alors « synonyme de luxe ». Tandis qu’en Europe, n’importe qui pouvait être tendance car il n’était pas obligatoire de posséder une grande fortune et c’est grâce à la presse spécialisée en Europe que le rapport des européens avec la mode était tout autre notamment grâce au partage et à l’accessibilité à travers la population. La mode s’est donc bien répandue sur le vieux continent au point de devenir une institution sociale, mais malgré tout l’Asie était en avance sur son temps et avait déjà mis en place un système vestimentaire depuis des siècles ! Il est donc faux de dire que l’Europe a créé la mode, mais c’est sur ce vieux continent qu’elle s’est pleinement développée. En résumé, l’Asie comme l’Europe étaient au point sur leur garde robe.
« La réponse est négative : non, la mode n’a pas été inventée en Europe ! » – Carlo Marco Belfanti
J’espère que vous n’avez pas eu de mal à lire mon article et qu’il était compréhensible, n’hésitez pas à me poser des questions si vous n’avez pas compris des passages ! Que pensez-vous de la mode asiatique de l’ancien temps ? Pour ma part, même si la forme ne changeait pas des masses, je trouve que les kimonos étaient d’une réelle splendeur notamment les motifs bien détaillés !
Merci de m’avoir lue et n’hésitez pas à partager mon article pour me soutenir.
A bientôt !
Source image featured : weibo The Empress of China avec Fan Bingbing