Cela fait maintenant des années que les blogueurs et les magazines nous répètent que le layering (appelé en France le millefeuille) est une routine à réaliser tous les jours pour avoir une belle peau. Mais on ne nous explique pas comment les asiatiques ont constaté que réparer la peau est plus important que de camoufler les imperfections avec du maquillage. Car n’oublions pas que le millefeuille consiste à nettoyer et à appliquer divers produits sur la peau matin et soir afin d’obtenir une peau propre et hydratée. Alors attention, contrairement à ce que certains pensent, ce n’est pas une juste une superposition de crèmes hydratantes mais plutôt un nettoyage et des soins que les asiatiques principalement aiment réaliser. Pour faire simple, on purifie et ensuite on apporte du soin à la peau.
Par conséquent, en dehors du fait que le layering soit devenu un rituel à réaliser quotidiennement, il convient également de comprendre l’histoire de la beauté asiatique dans chacun des pays, à savoir la relation qu’ont entretenu les ancêtres avec leur corps, ainsi que l’histoire du pays.
L’art de la beauté remonte à des siècles en Asie. Par exemple en orient, comme expliqué dans mon article ici sur le mukbang, la beauté n’est pas seulement le fait de montrer qu’en tant individus nous sommes beaux. Jung Ae Descamps, experte de la beauté en Asie, affirme qu’être beau c’est respecter l’autre. La beauté est donc ancrée dans la culture asiatique depuis des décennies pour des raisons sociales, économiques et politiques. Le layering est donc plus que le fait de prendre soin de sa peau, il y a en effet une histoire derrière qui mérite d’être connue et d’en parler.
En retraçant le parcours historique et en analysant les événements marquants nous allons remonter les origines du layering. Et de ce fait, durant 8 mois environ je me suis posée beaucoup de questions : pourquoi les asiatiques devaient-elles se maquiller et quel pays a influencé qui ? Quels étaient les critères de beauté ? Pourquoi devaient-elles prendre autant soin d’elles ?… Autant de questions et de recherches pour vous écrire un post complet sur les origines du layering. Vous trouverez d’ailleurs toutes mes sources à la fin de l’article.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous devons remonter 30 siècles avant J-C, et pour comprendre l’histoire il faut que je vous raconte ce qu’il s’est passé en Chine. Il faut savoir que la Chine était l’un des pays les plus développés d’Asie culturellement, socialement, économiquement et politiquement : art (peinture, musique…), expansion territoriale, écriture, philosophie, religion, porcelaine, gastronomie et bien d’autres thématiques 1. Bien sûr le maquillage n’a pas fait exception 2. A cette époque, les chinois (hommes et femmes) en appliquaient pour se démarquer des autres afin de montrer la classe sociale à laquelle ils appartenaient. Il était même interdit à ceux qui possédaient un faible rang social d’utiliser des couleurs. En effet, seuls ceux qui détenaient un rang élevé le pouvaient et en général ils portaient du rouge et du noir. Et les membres de la famille royale utilisaient prioritairement de l’or et de l’argent.
Leur culture a eu un impact considérable car la Corée 3 et le Japon 4 ont repris le même système pour distinguer les classes sociales.
Ainsi, les trois pays ont commencé à utiliser le maquillage assez tôt grâce à la Chine et avec le temps les pays ont développé indépendamment leurs propres standards de beauté, s’inspirant ici également des modèles chinois.
Dans l’ouvrage de Cho Kyo – The search for the beautiful woman (je vous conseille absolument ce livre. Elle a réalisé énormément de recherches sur la beauté asiatique sous toutes ses formes et a analysé un nombre incalculable de poèmes pour comprendre la société chinoise et japonaise de l’époque. Une vraie perle ! ), celle-ci nous confirme que la peau blanche et sans imperfection était dans chacun de ces pays un critère de beauté très important.
Selon Kyo, la poudre blanche utilisée autrefois au Japon était appliquée pour embellir et non pas pour cacher les imperfections. Le fait d’utiliser de cette façon la poudre blanche montre qu’ils possédaient une autre mentalité et donc une philosophie de vie différente de la nôtre qui est de camoufler l’indésirable. Mais comment en sont-ils arrivé là ?
Deux philosophies sont à l’origine de la beauté féminine asiatique, l’une accordant de l’importance à la beauté intérieure, et l’autre à la beauté extérieure 5. D’une part la doctrine taoïste qui s’axe principalement sur le physique, avec des jugements de valeur sociétaux (par exemple une femme ayant une voix grave était un mauvais partenaire sexuel, mais les critères pouvaient évoluer avec le temps). Et d’autre part, la pensée confucéenne qui suggère de prendre en considération la beauté intérieure en plus de l’extérieure 6. A l’époque, ce qui déterminait la féminité d’une femme était sa douceur et son dévouement moral envers sa famille. En résumé, la femme avait un statut bien déterminé sur tous les plans : son rôle au sein de la société, sa manière d’être et son apparence.
De nombreux experts en beauté tels que Vitoria Tsai et Jean-Alexandre Harvard affirment que les japonaises pensent que le visage est une sorte de reflet de la moralité, beauté et santé intérieure et que cela nécessite donc de faire attention à la qualité de sa peau. En effet, pour les asiatiques (et plus particulièrement les chinois) la beauté d’une femme se définit tant par son apparence extérieure que par sa richesse intérieure, et ne sont qu’un seul et même aspect. Bien sûr, cette perspective s’applique aussi à la Corée et à la Chine, notamment dû au fait que la Chine a exporté le taoïsme et le confucianisme aux autres pays il y a des siècles.
Pour conclure, en Asie la beauté extérieure est la continuité de la beauté intérieure. Les asiatiques prenaient alors soin d’elles depuis des lustres et fabriquaient des cosmétiques à l’aide d’ingrédients naturels et mangeaient sainement pour aider leur corps à être en bonne santé. Selon la dermatologiste Marie Jhin, chacun des pays avait sa propre façon d’y arriver. Par exemple, la Chine était experte en acupuncture et on y consommait du placenta de mouton. Le Japon aimait purifier le corps avec l’eau et boire du thé vert, et la Corée était plus axée sur l’herbe médicinale comme le ginseng et on y mangeait du haricot noir.
En plus du taoïsme et du confucianisme, le bouddhisme a également pris une place importante en ce qui concerne le respect de soi. J’aimerais vous parler ici de la purification, qui consiste à éliminer les impuretés tant au sens propre qu’au sens figuré.
L’acte de se purifier est apparu avec l’introduction du bouddhisme au premier siècle en Asie. Si je vous en parle, c’est parce que l’éthique bouddhiste suggérait aux individus de réfléchir à leur état d’esprit afin de trouver la voie du bonheur, et pour cela il fallait passer par la purification du corps, de la parole et de l’esprit 7.
Le bouddhisme a été propagé en Corée et au Japon aux environs du 6ème siècle, mais les japonais étant nationalistes, ils voulaient se distinguer des autres pays et ont donc créé une nouvelle religion : le shintoïsme. Cette religion se base sur un profond respect envers les aspects suivants : la tradition et la famille, la nature, la propreté physique et les dieux. C’est la raison pour laquelle le peuple japonais se lave et traite sa peau de la même façon que la nourriture, la nature et les dieux. L’irrespect envers l’un de ces éléments est alors mal perçu par la société car c’est considéré comme un manque d’intérêt envers autrui 8. C’est la raison pour laquelle les japonais prenaient beaucoup de plaisir à prendre des bains aux sources chaudes plus connues sous le nom de onsen.
Quant à la Corée, elle suivait essentiellement le bouddhisme et le confucianisme. Le shintoïsme a ensuite été importé dans le pays mais n’y a pas été l’une des principales religions 9. C’est pourquoi nous pouvons voir une différence de culture entre la Corée, la Chine et le Japon sur quelques aspects. Néanmoins, les cosmétiques ont pris une nouvelle ampleur avec un métier naissant inspiré de la Chine : la femme de compagnie.
Vous connaissez sûrement déjà les femmes de compagnie sous l’appellation de Geisha pour le Japon, que l’on retrouve sous le nom de Gisaeng pour la Corée et Yiji pour la Chine.
Malgré leur statut social considéré comme le plus bas rang, les femmes de compagnie possédaient une renommée considérable et devenaient des références de mode pour les femmes. Ce fut aussi le cas en Corée comme l’affirme le musée des cosmétiques Coreana durant la période Joseong où l’élite et les femmes de haut rang suivaient également la mode des gisaengs. Et bien sûr, ça a été la même chose en Chine.
Certaines choisissaient ce métier pour survivre à leurs conditions de vie, car comme l’a si très bien dit Mameha, un personnage du film Mémoires d’une geisha : « Si on fait ce métier avant tout c’est parce qu’on n’a pas le choix« . C’était un métier répandu pour tenir compagnie aux hommes et elles sont de nos jours confondues avec les prostituées. Il faut savoir que les relations sexuelles ne faisaient pas partie de leurs services. C’était des femmes intelligentes qui divertissaient les clients à travers l’art, comme la poésie, la danse, la musique ou la littérature. Par exemple au Japon geisha veut littéralement dire « personne d’arts ». J’aimerais vous citer Mameha ici, qui a défini avec justesse une femme de compagnie :
« Les geishas ne sont pas des courtisanes et ce ne sont pas non plus des épouses. Nous vendons des talents, pas nos corps. Nous créons un autre monde secret entièrement consacré à la beauté. Le mot lui même geisha signifie artiste. Être geisha c’est être appréciée comme une oeuvre d’art vivante. » – Mémoires d’une geisha version film
La confusion avec les prostituées est née lors de la seconde guerre mondiale au Japon lorsque les américains occupaient leur territoire. Les prostituées se faisaient passer pour des geishas entraînant ainsi un malentendu aux yeux des étrangers. A partir de cet instant, tous les pays en ont pris pour leur grade.
Si je m’attarde sur la profession d’une femme de compagnie, c’est qu’il est essentiel de comprendre comment la société les voyait et comment elles se considéraient. En effet, on comprend que ces personnes étaient appréciées comme des « oeuvres d’art », l’esthétisme visuel étant travaillé sur tous les niveaux comme le maquillage et les différentes façons de coiffer les cheveux. C’est pourquoi, devenir une femme de compagnie ne se faisait pas en un claquement de doigts mais c’était à travers des années d’entraînement à l’école qu’on devenait une geisha/gisaeng/yiji accomplie.
“Geisha will do anything to achieve their perfect appearance” – Mémoires d’une geisha version livre
Pour les représentations, elles devaient utiliser du fond de teint blanc pour donner du contraste au visage et aux kimonos. Le fond de teint étant très lourd, surtout celui des geishas comparé aux autres pays, l’eau n’était pas suffisante pour enlever les couches de maquillage 10. Au départ, elles utilisaient des excréments de rossignols 11 (astuce enseignée par la Corée) et ensuite elles ont eu l’idée d’utiliser la fameuse huile de camélia (ou tsubaki oil) pour enlever le maquillage. L’huile ne suffisant pas, elles nettoyaient leur peau en deuxième étape afin d’enlever les résidus d’huile avec de la poudre d’enzyme (on peut dire que c’était une douce exfoliation).
Et comme nous avons vu plus haut qu’il était essentiel de prendre soin de sa peau, elles utilisaient quelques soins faits maison avec des ingrédients naturels dans le but d’obtenir une peau souple et douce tels que les mochis ou les bébés, un nom a même été attribué pour définir cette texture : mochi hada.
Selon la fondatrice de Tatcha, Victoria Tsai, les secrets de beauté des geishas ont été transmis oralement de génération en génération jusqu’en 1813. Un auteur a inscrit toutes les astuces pratiquées par les geishas en 3 volumes sous le nom de Miyakofuzoku Kewaiden.
La suite vous la connaissez, la technique du layering s’est propagée à une vitesse de folie dans le monde entier. Tout d’abord en éduquant les gens à adopter cette routine et ensuite grâce à l’exportation des produits asiatiques. La K-beauty a notamment pris une très grande ampleur grâce à la vague coréenne connue sous le nom d’Hallyu, ainsi qu’au marketing créé autour des packagings des cosmétiques.
En résumé, les femmes asiatiques ont toujours cherché à obtenir une peau laiteuse grâce aux produits qu’elles fabriquent. C’est également grâce aux philosophies taoïste, confucianiste et bouddhiste si leur rapport au corps est différent du nôtre. Celles-ci ont largement contribué aux critères de beauté féminins asiatiques. Quant aux japonaises, elles entretiennent une relation plus particulière avec leur corps via le shintoïsme qui nécessite un respect encore plus profond de ce dernier.
Les geishas ont largement démocratisé le layering grâce à leur maquillage très lourd. Aujourd’hui, certains se demandent si le layering provient du Japon ou de la Corée. Historiquement, c’est le Japon qui a popularisé la technique du millefeuille. Cependant, au vu d’un manque de preuves écrites de l’époque des différents pays d’Asie, il se peut que cette technique ait d’abord été utilisée en Corée ou même en Chine étant donné qu’ils ont tous les mêmes origines de philosophies de vie. Malheureusement il n’existe pas beaucoup d’ouvrages voire même pas du tout sur les habitudes de l’ancien temps ou mêmes sur les gisaengs et les yijis, les geishas étant les plus populaires.
Néanmoins, je pense que si le layering est vu comme une technique japonaise et que les coréens n’ont pas crié au scandale, c’est que cela doit bien provenir du Japon.
Dans tous les cas, ces pays ont de l’avance sur nous et je pense qu’on devrait tout d’abord prendre plaisir à s’occuper de nous et non le prendre comme un fardeau à réaliser chaque jour.
J’espère que vous aurez apprécié lire cet article et que vous aurez appris des choses. J’ai pris énormément de temps à le rédiger et surtout à faire mes recherches. N’hésitez surtout pas à partager mon article partout sur les réseaux sociaux et à me suivre sur Instagram, Facebook ou Twitter pour me soutenir ! Cela me ferait énormément plaisir surtout si vous avez aimé me lire.
Si vous avez des questions, vous pouvez me les poser en commentaires ci-dessous 😀
En tout cas, merci de m’avoir lue jusqu’au bout.
Que pensez-vous de leurs philosophies de vie ? Avez-vous appris des choses ? Pensez-vous que c’est japonais ?
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